Quand notre propre système immunitaire attaque nos cellules, on parle de maladie auto-immune. Mais comment notre meilleur allié devient-il un jour notre pire ennemi ? Une protéine, le TGF-B, serait la clé de cette énigme.
Le système immunitaire est une défense redoutable de l’organisme contre les agents pathogènes, les molécules étrangères ou les cellules cancéreuses. Il regroupe une armée de cellules et d’organes – notamment le thymus, les ganglions lymphatiques….- qui intéragissent de façon complexe et assurent la précision et la particularité de son action. Cette efficacité requiert un niveau élevé de régulation faisant intervenir des protéines spécifiques et permettant, ainsi, au système immunitaire de distinguer les constituants normaux du corps de ceux à supprimer. Cependant, il arrive qu’un grain de sable se mette dans cette mécanique de contrôle bien huilée et conduise au développement d’une maladie auto-immune (comme le lupus érythémateux, le diabète de type I ou la sclérose en plaques), où les globules blancs attaquent alors nos propres cellules. Mais pourquoi un tel dysfonctionnement ?
Pour répondre à cette question, Julien Marie et son équipe du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL) ont en ligne de mire l’une des protéines de régulation, le TGF-B (Transforming Growth Factor).
« Depuis une vingtaine d’années, celui-ci est connu pour son importance capitale dans le contrôle du développement des maladies auto-immunes, souligne le chercheur. En effet, les animaux déficients pour cette cytokine (molécule de signalisation cellulaire agissant sur d’autres cellules pour en réguler l’activité et la fonction) vont spontanément développer des syndromes auto-immuns graves. »
Les recherches de l’équipe avaient déjà permis d’identifier le rôle essentiel du TGF-B dans le contrôle des lymphocytes T, ces cellules immunitaires qui ne génèrent pas d’anticorps mais des substances chimiques toxiques pour les corps étrangers. Ainsi, en l’absence de TGF-B, le nombre de lymphocytes T augmente considérablement. Hors de contrôle, ces cellules se retournent alors contre l’organisme. Dans leur dernière étude, les chercheurs se sont donc plus particulièrement intéressés aux lymphocytes T. Leur approche ? Bloquer spécifiquement l’action du TGF-B dans ces cellules grâce à une mutation génétique qui affecte son récepteur.
« A notre grande surprise, en manipulant les lymphocytes T, nous avons observé une augmentation de la quantité d’auto-anticorps qui attaquent nos cellules. Cela suggérait un effet sur les lymphocytes B, producteurs, eux, d’anticorps. Or, ceux-ci n’étaient pas affectés par la mutation », constate Julien Marie.
Avec son équipe, le chercheur révèle alors le rôle d’une population particulière de lymphocytes T, les T follicular herper (Tfh), dont le nombre régule l’activation des lymphocytes Bet dont la dynamique dépend de TGF-B.
Parallèlement, les scientifiques ont montré que ce dernier est essentiel au développement des lymphocytes T CD8 régulateurs, capables d’induire la mort programmée des cellules Tfh et donc de maintenir leur population constante.
Au delà de ces résultats, l’étude confirme bien que « le TGF-B, en contrôlant les lymphocytes T et, désormais les lymphocytes B est LA cytokine régulatrice qui se manifeste dans l’ensemble de l’organisme est la plus puissante »,insiste Julien Marie. Avec son équipe, il entreprend maintenant d’étudier le fonctionnement de cette cytokine d’un point de vue moléculaire et de comprendre comment le TGF-B, produit en particulier par les cellules cancéreuses, affaiblit la réponse immunitaire. Avec un espoir : celui de « réussir, un jour, à contrôler l’activation des lymphocytes T et B par injection soit de TGF-B, soit de molécules qui neutraliseraient ses effets. Et pourquoi pas, maîtriser le développement des maladies auto-immunes et du cancer » imagine le chercheur.
Source : Magazine Science et Santé Nov-Déc 2014