GROSSESSE ET LUPUS SYSTEMIQUE Gaëlle Guettrot-Imbert, Véronique Le Guern, Nathalie Costedoat-Chalumeau – Centre de référence maladies auto-immunes et systémiques rares, Hôpital Cochin, Paris. – CEMAM (Centre Expert des Maladies Maternelles), Hôpital Cochin-Port Royal, Paris. (RDV : centre.cemam@aphp.fr). Le lupus systémique est une maladie auto-immune qui expose à des complications au cours de la grossesse, notamment en raison de l’influence des œstrogènes. L’existence d’anticorps antiphospholipides ou d’un syndrome des antiphospholipides (SAPL) majore ce risque de complication. En planifiant la grossesse au meilleur moment pour la patiente en adaptant le traitement et en mettant en place une surveillance multidisciplinaire par une équipe spécialisée, la grossesse peut généralement être menée à terme et permettre la naissance d’un enfant en bonne santé. Quelques définitions La durée d’une grossesse normale est théoriquement de 9 mois ou plus précisément de 41 semaines d’aménorrhée (SA), c’est-à-dire le nombre de semaines depuis le début des dernières règles. Le début de la grossesse survient généralement 2 semaines après le 1er jour des dernières règles. Lorsqu’il y a un décalage, l’échographie précise alors la date de début de grossesse et corrige les SA (alors calculées en rajoutant deux semaines à la date de début de grossesse). En France, 3 échographies fœtales sont réalisées chez les femmes enceintes : à 12 SA (fin du 1er trimestre), à 22 SA (début du 2ème trimestre), et à 32 SA environ (milieu du 3ème trimestre). Chez les patientes atteintes d’un lupus systémique, et ou d’un SAPL, ces échographies seront généralement plus fréquentes Un bébé est dit prématuré s’il nait avant 37 SA, soit à environ 8 mois de grossesse. La fertilité au cours du lupus En général, les femmes lupiques n’ont pas plus de difficulté à être enceintes que les autres. Une diminution transitoire de la fertilité peut être observée lorsque le lupus n’est pas suffisamment bien contrôlé par le traitement (mais la mise en route d’une grossesse n’est de toute façon pas conseillée dans ces conditions), ou lorsque des doses assez importantes de cyclophosphamide (qui peut altérer la fonction des ovaires) ont été prescrites du fait de la sévérité du lupus. Pourquoi la planification d’une grossesse est-elle souhaitable ? Une grossesse survenant au cours d’un lupus actif peut entraîner des complications pour la maman mais aussi pour le bébé. Il est donc préférable de préparer ce projet de grossesse lors d’une consultation pré-conceptionnelle. Ceci est mis en place dans plusieurs centres spécialisés. Cette consultation permet dans un premier temps de s’assurer que la grossesse peut être raisonnablement envisagée, sachant que les contre-indications à la grossesse sont en pratique rares la principale étant la survenue d’une poussée récente ou le mauvais contrôle du lupus. Elle permet ensuite : – De vérifier que le lupus est suffisamment « calme » pour que la grossesse se déroule dans les meilleures conditions. – De rechercher une biologie antiphospholipides – De rechercher la présence d’anticorps anti-Ro/SSA et/ou anti La/SSBD’adapter les traitements médicamenteux et de mettre à jour les vaccins – De vérifier qu’il n’y a pas d’autres soucis et notamment que la thyroïde fonctionne bien Concernant le lupus lui-même : il doit être le plus calme possible. Il est donc habituellement recommandé de ne démarrer la grossesse qu’à distance d’une poussée sévère (notamment rénale), lorsque le lupus est calme. Une fois démarrée, la grossesse peut « réveiller » le lupus, mais il s’agit alors le plus souvent de poussées facilement contrôlées par les traitements. Certaines patientes ont des anticorps antiphospholipides, voire un syndrome des antiphospholipides (SAPL). On parle de SAPL lorsqu’il y a des anticorps anti-phospholipides (anticoagulant circulant de type lupique, anticorps anti-cardiolipine, anticorps anti-β2GP1) à au moins 2 reprises et un événement clinique comme une thrombose (qui correspond à la présence d’un caillot dans les vaisseaux) ou une complication lors d’une précédente grossesse (fausse couche, bébé de petit poids par rapport à l’âge ou prématuré, ou encore pré-éclampsie (voir en dessous). Certaines futures mamans ont des anticorps anti-SSA/Ro et/ou anti-SSB/La. Leur enfant a alors un très faible risque de développer un « lupus néonatal ». Ce syndrome rare se manifeste essentiellement par une atteinte cutanée qui disparaît quelques mois après la naissance ou plus rarement par une atteinte cardiaque (un bloc auriculo-ventriculaire congénital ou BAV, responsable d’un ralentissement de la fréquence cardiaque du bébé). Quand ces anticorps sont positifs et même si le risque est très faible (99% de chance que tout soit normal), il est actuellement recommandé de surveiller le rythme du cœur du bébé par des échographies et de faire un électrocardiogramme à la naissance chez le bébé. Quels médicaments peuvent être utilisés ? – L’hydroxychloroquine-Plaquénil® est poursuivie sans risque tout au long de la grossesse et pendant l’allaitement. Il est essentiel de ne pas l’arrêter car cela peut permettre d’éviter une poussée du lupus. – La corticothérapie (Cortancyl®, Solupred®) peut être utilisée en privilégiant des doses faibles (5 à 7 mg par jour) lorsque cela est possible. – L’azathioprine-Imurel®, la ciclosporine-Neoral® ou le tacrolimus peuvent être utilisés si nécessaire tout au long de la grossesse, et même pendant l’allaitement. – L’aspirine à faible dose (100mg) protège le placenta et est sans risque à cette posologie. Quels sont les médicaments contre-indiqués ? – Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène-Nurofen® ou Advil®, piroxicam-Feldene®, diclofénac-Voltarène®, y compris l’aspirine à des doses ≥ 500mg/j) – Les anticoagulants de la famille des antivitamine K (par exemple fluindione-Previscan®, warfarine-Coumadine®) qui doivent être remplacés par des injections sous-cutanées d’héparine dès que la grossesse est connue, le plus tôt possible. – De nombreux immunosuppresseurs, notamment mycophénolate mofétil-Cellcept®, cyclophosphamide-Endoxan®, méthotrexate. – Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (donnés en cas d’hypertension artérielle ou lorsqu’il existe une fuite de protéines dans les urines) – Les biphosphonates (Fosamax®, Actonel®), prescrits pour prévenir l’ostéoporose. Le CRAT (Centre de Reference sur les Agents Tératogènes) a un site d’information très utile que chacun peut consulter (http://www.lecrat.fr/). Questions fréquentes Quel est le risque de transmettre le lupus à son bébé ? Mis à part l’exceptionnel lupus néonatal (qui n’est d’ailleurs pas un lupus), le risque de transmettre le lupus est très faible : les formes familiales de lupus existent mais sont rares. Il ne faut donc pas s’inquiéter à ce sujet. Que penser des vaccinations ? Il est important d’être protégée contre la rubéole avant de démarrer une grossesse car cela peut donner de graves malformations chez les bébés (attention, la vaccination est contre-indiquée par l’utilisation de corticoïdes à partir d’une certaine dose journalière ou d’immunosuppresseurs). Il est aussi important d’être vaccinée contre la grippe en période hivernale (une grippe en cours de grossesse peut conduire à une perte fœtale et peut être grave pour la maman). Enfin, la coqueluche peut être très sévère chez les nouveau-nés et on recommande de vacciner les futurs parents afin d’éviter qu’ils contaminent leur bébé. Faut-il prendre des vitamines ? On recommande de donner des folates (Spéciafoldine® = vitamine B9), dès le désir de grossesse, comme chez toutes les femmes souhaitant être enceinte, pour éviter certaines malformations. Un apport supplémentaire en fer et en vitamine D est fréquemment prescrit. Est-il possible d’avoir recours à une assistance médicale à la procréation ? Les procédures d’induction de l’ovulation, de procréation médicalement assistée (fécondation in vitro (FIV) notamment) comportent des risques particuliers mais ne sont plus systématiquement contre-indiquées. Elles justifient en revanche une prise en charge très spécialisée. Quelles sont les complications de la grossesse ? Tout d’abord, rappelons que lorsque le lupus est calme, et les traitements bien adaptés, la grossesse se passe le plus souvent très bien. Néanmoins, des complications sont possibles et sont essentiellement : – Une poussée du lupus : elles sont généralement peu sévères sous réserve que le traitement soit adapté et bien pris. – La pré-éclampsie (hypertension artérielle associée à une perte de protéines dans les urines) voire le syndrome HELLP : les symptômes évocateurs sont la survenue de céphalées, d’acouphènes (bruits dans les oreilles), de phosphènes (tâches devant les yeux), de douleurs en haut du ventre, d’œdèmes des membres inférieurs. La survenue de ces symptômes justifie de consulter rapidement aux urgences de la maternité. – Les thromboses (caillot dans les vaisseaux) : elles restent rares sous traitement. – Les naissances prématurées ou la perte du bébé. Ceci reste un évènement extrêmement rare qui est surtout lié à la présence d’anticorps antiphospholipides qui sont donc systématiquement recherchés avant la grossesse. S’ils sont présents, un traitement particulier (aspirine à petites doses, parfois associée à de l’héparine sous-cutanée) sera prescrit le plus tôt possible, notamment l’aspirine qui est généralement débutée lors de la consultation préconceptionnelle. Une surveillance par doppler effectué au cours de l’échographie du second trimestre est utile pour dépister cette complication. Comment surveille-t-on la grossesse ? La surveillance est réalisée en étroite collaboration avec un médecin référent du lupus et un obstétricien. Le rythme des consultations et des échographies est souvent mensuel mais peut varier selon les antécédents et le déroulement de la grossesse. La consultation est habituellement associée à un prélèvement sanguin et des urines à la recherche de signes d’activité du lupus. Où peut-on accoucher ? Il est possible dans la majorité des cas que l’accouchement se fasse près du domicile. Cependant, selon les antécédents obstétricaux et médicaux, les traitements et l’évolution de la grossesse, l’accouchement pourra avoir lieu dans un établissement apte à fournir des soins maternels et pédiatriques plus spécialisés (plateau technique plus important, maternité de niveau III). Peut-on avoir une péridurale ? Oui, une péridurale est le plus souvent réalisée sauf dans quelques situations particulières (notamment en cas d’injection d’héparine très récente). Peut-on allaiter ? Dans la plupart des cas, l’allaitement est possible. Il est important d’aborder le sujet de l’allaitement avec son médecin avant l’accouchement pour adapter les traitements. En effet, certains traitements devront être arrêtés ou adaptés. La prise d’hydroxychloroquine-Plaquénil, de petites doses de corticoïdes, d’aspirine à faible dose ou encore l’utilisation d’héparine est autorisée. En cas de traitement par AVK, la warfarine-Coumadine® est privilégiée. Et après l’accouchement ? Il ne faut surtout pas arrêter le traitement et la surveillance doit être maintenue car des poussées de lupus peuvent survenir dans les premiers mois suivant l’accouchement. Dans certains cas, le risque de thrombose justifie de poursuivre les injections d’héparine quotidiennes 6 semaines après l’accouchement. Et la recherche ? Une étude simple est actuellement en cours en France pour mieux évaluer l’impact de la grossesse sur le lupus : l’étude du GR2 (etude.eGR2@cch.aphp.fr), soutenue par la société française de médecine interne (SNFMI), de rhumatologie (SFR), par l’AFM Téléthon et par de nombreuses associations de patients. Votre médecin vous proposera peut-être de participer, c’est à dire d’accepter que les données concernant l’histoire de votre maladie, et le suivi de votre grossesse soient entrées dans l’étude de manière anonyme. En conclusion, la prise en charge de la grossesse au cours du lupus s’est nettement améliorée ces dernières années. Actuellement, les grossesses se passent sans difficulté dans la plupart des cas à condition de préparer cette grossesse avec son médecin.
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