Le sexe est une préoccupation qui intrigue dans les maladies auto-immunes ! La plupart d’entre-elles sont féminines avec parfois un sex-ratio de 9 femmes pour 1 hommes comme dans le Lupus et le Syndrome de Gougerot Sjögren.
Pourquoi cette prédominance féminine ? Pendant longtemps, le seul facteur incirminé était les hormones femelles (oestrogènes) mais cette explication était insuffisante car les oestrogènes peuvent même avoir, dans certaines circonstances, un rôle anti-inflammatoire protecteur. Depuis quelques années, d’autre explications originales intéressantes ont été apportées. Il est vraisemblable que le chromosome féminin X joue un rôle majeur car il porte de nombreux gènes de l’immunité. L’expression et la régulation de ces gènes pourraient être perturbées dans les grandes maladies auto-immunes comme le lupus. D’autres phénomènes comme le microchimérisme foeto-maternel, qui est l’échange de cellules (notamment de lymphocytes) pendant la grossesse à travers le placenta, peut également jouer un rôle. Ainsi, les femmes sont plus exposées aux maladies auto-immunes…. la découverte des mécanismes en cause vont permettre non seulement d’importants progrès scientifiques, mais peut-être aussi de découvrir de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Les maladies auto-immunes systémiques comme le lupus ou les formes localisées à un organe (comme les thyroïdites) touchent préferentiellement les femmes. A titre d’exemple, le lupus ou le syndrome Gougerot Sjögren sont des affections féminines dans 90% des cas. Cette prédominance féminine est un vieux mystère qui s’élucide progressivement.
Les oestrogènes…. uniquement la part hormonale du mystère !
Les oestrogènes sont des hormones aux effets immunitaires multiples qui varient selon leur type, leur concentration et les « tissus » cibles. Ils ont globalement un effet pro-inflammtoire mais peut exercer des effets bénéfiques comme dans l’os où ils s’opposent à la résorption ostéoclastique. Il y a une maladie auto-immune, le lupus, dans laquelle il existe de façon évidente une oestrogénodépendance comme l’atteste aggravant de la grossesse et parfois l’effet délétère de la pillule oestroprogestative. Dans cette maladies, il pourrait exister une hyperoetrogénie tissulaire qui peut-être liée à une augmentation de l’activité des aromatases qui transforment les hormones mâles en oestrogènes. Les oestrogènes sont capables d’agir directement sur l’ensemble des cellules de l’immunité en activant notamment les lymphocytes T et B autoréactifs dans le lupus alors que ce phénomène n’est pas observé chez les sujets sains. Récemment, il a été aussi démontré que des catabolites des oestrogènes appelés catécholoestrogènes pouvaient avoir un effet toxique sur l’ADN, ce qui est susceptible de le rendre immunogène et de favoriser l’apparition d’auto-anticorps anti-ADN natifs caractéristiques du lupus. Dans d’autres maladies auto-immunes, les oestrogènes ont probablement aussi des effets immunitaires mais cela a été moins étudié.
Le chromosome X est trés immunitaire ….une explication (épi)génétique séduisante !
Le chromosome X porte de très nombreux gènes (plusieurs centaines) qui codent pour des protéines de l’immunité dont certaines ont un rôle très important dans les maladies auto-immunes,(TLR7, IRAK1, CD40L,…). Ainsi, il a été observé récemment que le seul modèle de lupus murin (souris) survenant chez des mâles s’expliquait par une duplication des gènes de l’immunité innée appelés TLR7 impliqués dans la synthèse d’interféron. Il est aussi intéressant d’observer que certains des syndromes génétiques rares comme le Syndrome de Klinefelter, qui sont des hommes « double X » (XXY) font autant de lupus que les femmes.
Les femmes (XX) ont 2 fois plus de chromosomes X que les hommes (XY) ! La nature….trés oecuménique, a créé un phénomène d’équilibre entre les deux sexes qui est lié au fait que les cellules féminines vont systématiquement inactiver de façon aléatoire l’un des deux chromosomes X. Ce phénomène d’inactivation du 2eme chromosome X est lié à une méthylation de l’ADN chromosomique. Récemment, il a été démontré que chez les femmes lupiques, il y avait un défaut de cette inactivation par méthylation. Ainsi, les femmes lupiques pourraient donc exprimer les gènes de l’immunité portés par leurs 2 chromosomes X, les mettant dans un état « d’hyperimmunité ». Ce phénomène très original illustre bien le rôle majeur de l’épigénétique (c’est à dire du contrôle de l’expression des gènes) dans le déclenchement des maladies auto-immunes.
Le rôle du microchimérisme ou l’histoire d’un échange de cellules foeto-maternelles transplacentaires !
Il a été démontré que pendant la grossesse, il y avait un échange « physiologique » de cellules (en particulier des lymphocytes) à travers le placenta. De façon surprenante, il a été démontré que ces cellules foetales pourraient survivre, aprés l’accouchement, pendant de nombreuses années chez la femme. ainsi, il a été détecté, dans la circulation d’une femme, les cellules de son fils né 29 ans plus tôt. Ce phénomène, appelé microchimérisme, est physiologique mais pourrait avoir une importance dans les maladies auto-immunes. Le rôle du microchimérisme a été envisagé par analogie avec une affection appelée réaction du greffon contre l’hôte qui survient après une greffe de moelle ou d’organe c’est-à-dire dans une situation de chimérisme (hôte/greffon). En cas de greffe, les cellules immunitaires du greffon peuvent agresser l’hôte en induisant une maladie (réaction du greffon contre l’hôte) qui peut mimer une maladie auto-immune avec en particulier une atteinte cutanée sclérodermiforme, une inflammation musculaire et différentes atteintes d’organes (foie, thyroïde…).
Le rôle du microchimérisme a été étudié chez les femmes sclérodermique avec la mise en évidence d’un excès de cellules foetales dans le sang et les lésions cutanées sclérodermiques. Cependant, il est difficile de savoir si ce phénomène microchimérique est la cause ou la conséquence de la maladie auto-immune. En effet, il peut être spéculé que les cellules foetales pouvaient exercer un effet de « réparation » car elles ont gardé des capacités de redifférenciation utiles dans la réparation tissulaire.
Quel est donc le rôle du microchimérisme ? Bénéfique ou défavorable ?
Cela reste à déterminer mais il est possible que ce rôle ne soit pas le même dans toutes les maladies auto-immunes car ce phénomène n’a pas été observé dans certaines d’entres-elles comme le Lupus.
La prédominance féminine de la plupart des maladies auto-immunes est une réalité mais les mécanismes qui l’expliquent sont probablement plus compliqués que l’on ne le pensait. Les découvertes récnetes vont certainement permettre une meilleure compréhension de ces maladies et eut-être à l’identification de nouvelles stratégies thérapeutiques…. affaire à suivre !
Pr Jean SIBILIA
Centre National de Référence des Maladies Auto-Immunes Systémiques Rares
CHU de Strasbourg